Blessures – Manifeste incertain #6 / Frédéric Pajak

Dessinateur, écrivain d’une trentaine de livres publiés dont L’immense Solitude, Le Chagrin d’amour, Humour ou encore Mélancolie, graphiste, créateur de revues (L’Imbécile), éditeur (Les Cahiers Dessinés), découvreur de talents (Anna Sommer, Mix et Remix…), organisateur d’expositions ( Grand Trouble en 2017, les Cahiers dessinés en 2015,…), Frédéric Pajak est tout simplement multiple mais quand il s’agit de ses livres avec dessins, il est unique. Ces livres, superbes ouvrages d’édition en noir et blanc se distinguent des autres productions par un texte côtoyant des dessins à la plume dans une relation singulière. En aucun cas de l’illustration, encore moins de la bande dessinée ou du roman graphique, mais la juxtaposition harmonieuse de deux écritures.

Blessures est le sixième volume du Manifeste incertain, projet éditorial unique commencé en 2012 ou s’entrecroisent l’autobiographie et différentes biographies, la philosophie et la poésie, avec pour toile de fond la Seconde Guerre mondiale. Ce Manifeste incertain est un projet qui remonte à l’enfance de Frédéric Pajak (« Je suis enfant, 10 ans peut-être. Je rêve d’un livre, mélange de mots et d’images. Des bouts d’aventure, des souvenirs ramassés, des sentences, des fantômes, des héros oubliés, des arbres, la mer furieuse.») et se veut une somme de mots et de dessins contre les détenteurs de vérité unique avec, pour noble mission artistique, de réinjecter le doute dans le dogme.

  «Le Manifeste incertain, par son vague à l’âme, me paraît plus anarchiste que l’anarchisme officiel, qui méprise l’art et les sentiments», pense Frédéric Pajak. Il a pour mission de «ne pas ânonner l’histoire des vainqueurs. Nous sommes dominés par une histoire de l’art inexacte, une forme de conformisme, mais il existe une autre histoire cachée.»

Après avoir mêlé la petite et la grande histoire, la sienne et celle du monde autour des figures du philosophe Walter Benjamin, de l’écrivain Samuel Beckett, du poète Ezra Pound, de l’essayiste Arthur Gobineau , après s’être entièrement effacé dans le volume précédent devant Vincent Van Gogh, Frédéric Pajak revient, dans ce sixième volume, sur son enfance et son adolescence. Pour se mettre à nu et disséquer sa blessure originelle, celle qui fit de lui, à 10 ans, un orphelin après la mort accidentelle de son père et qui engendrera, par la suite, une mélancolie palpable dans toute son œuvre.

    Loin de l’ostentation et du pathos de nombreux auteurs lorsqu’ils s’adonnent à l’autobiographie, Frédéric Pajak ne règle aucun compte avec le passé ni ne l’adjure. C’est plutôt avec une confondante humilité qu’il évoque d’autres blessures à travers les multiples amants de sa mère, une expérience traumatisante sur une île de naturistes («J’ai eu honte et cette honte m’a longtemps collé à la peau. Ma mère a tué mon innocence», écrit-il.). Ile qui fût en d’autres temps un camp pour orphelins que l’on internait et brisait à vie, ou les visites qu’il rend à sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer…

  Blessures est une plongée dans l’histoire d’un homme qui ne veut ni mentir ni tricher avec les véritables héros de ce livre, à savoir  les sentiments. La solitude, le chagrin d’amour, la mélancolie et le deuil…ce que chacun de nous ressent forcément un jour où l’autre et qui constitue notre humanité.

   Et pour prolonger le texte et entrer en dissonance avec ses mots, Frédéric Pajak nous donne à lire de somptueux dessins au noir dense et profond de photos de famille, portraits, paysages, fragments de villes et de scènes de genre.

 2017

À retrouver (entre autres) à la Bibliothèque des Champs Libres

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