La goûteuse d’Hitler / Rosella Postorino

“Qu’aurais-je fait à sa place?” C’est un questionnement obsédant qui est à l’origine de ce puissant roman, fascinant à bien des égards.

Il s’est imposé à Rosella Postorino lorsqu’elle découvre en 2014 le témoignage de Margot Woelk, 95 ans, révélant pour la première fois son passé de goûteuse d’Hitler. Enrôlée de force, elle n’était pas nazie. Au bout de 2 ans, elle réussit à s’enfuir grâce à l’aide d’un lieutenant SS, tandis que toutes les autres goûteuses finiront fusillées par l’armée rouge. L’auteure italienne lui écrit pour la rencontrer, mais Margot Woelk décède quelques jours après avoir reçu la lettre. Véritablement hantée par le vécu de cette femme et par cet épisode méconnu de la seconde guerre mondiale, Rosella Postorino prend alors les libertés du roman, mais avec toute la justesse de ton et la vraisemblance psychologique nécessaires. Margot Woelk sous sa plume devient Rosa Sauer, elle prend la parole, elle se confie à nous. Et de cette confession on en ressort bouleversé(e).

Rosa, jeune épouse berlinoise, séparée de son mari par la guerre, se réfugie chez ses beaux-parents dans un village de Prusse orientale. Or non loin se terre Hitler, reclus dans la fameuse “tanière du loup”. Rosa est rapidement recrutée par les SS ainsi qu’une dizaine d’autres jeunes femmes pour servir de goûteuses pour le Führer, trois fois par jour, dans une école reconvertie en caserne. Dans ce huis clos oppressant, les dix femmes s’apprivoisent – ou pas – et surtout apprivoisent l’idée de la mort. Ici la nourriture abonde alors que le reste de la population meurt de faim, mais chaque bouchée peut potentiellement être mortelle. Au milieu de ce microcosme où règne la peur, les souvenirs refluent et l’on visite le passé de Rosa, la mort prématurée de sa mère, le début de la guerre. Puis un désir insensé et vital surgit au cœur de l’histoire, en la personne du lieutenant Ziegler. Mais impossible d’en dire plus ici, il faut aller au bout de cette histoire qui n’a rien d’attendu ni de romanesque. Et c’est bien là toute la beauté de ce texte, dont l’intérêt ne réside pas seulement dans l’évocation d’une “petite” histoire dans la grande Histoire, mais aussi dans la symbolique des nombreux thèmes forts du récit (la nourriture, la société, le corps, le désir pour exister, la disparition), dans la justesse de toutes les situations, et dans  l’ambivalence de tous les personnages, qui au fond n’ont d’autre choix que de tout faire pour survivre. Et nous, qu’aurions-nous fait si nous avions été à leur place?

Editions Albin Michel, 2018

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