Un village pour aliénés tranquilles / Juliette Rigondet ; Sabine Weiss (photogr.)

Enquête historique, sociale sur l’accueil familial thérapeutique, alternative à l’hospitalisation psychiatrique pour les malades chroniques.
Devant la surpopulation des asiles de la capitale, à la fin du XIXe siècle, liée à la nature policière de la loi de 1838 et à la « dangerosité »  – trouble de la tranquillité publique – le docteur Auguste Marie, convaincu que les asiles devenaient des lieux de gardiennage accentuant la folie, créa en 1892, à Dun-sur-Auron dans le Cher, sur le modèle du placement d’enfants orphelins en Ecosse, une « colonie » destinée à accueillir dans des familles volontaires et rémunérées, des patients stabilisés mais sans autonomie sociale : des « aliénés tranquilles ». Le recrutement des malades se faisait sous le regard prudent des autorités. Le choix des malades ne devait se faire que parmi des vieillards séquestrés jusqu’ici comme aliénés dont l’état de démence incurable mais tranquille et l’affaiblissement sénile des facultés ne justifient pas de façon absolue le maintien en asile.
De nombreux foyers se portèrent candidats pour devenir familles nourricières. Les familles devaient assurer les repas, l’entretien du trousseau, la distribution des médicaments ; et si les patients avaient besoin de soins ou de mener diverses activités, elles devaient les emmener à la colonie  – c’est-à-dire dans un centre médical installé dans la commune et où officiaient un psychiatre et des infirmiers. Pour ces missions les accueillants touchaient des indemnités – ce qui incita de nombreuses personnes à se porter candidates – touchées par la baisse des salaires, le chômage et l’exode rural. Toutefois, si les traitements demeuraient les mêmes qu’ à l’asile (« traitement moral » forme de cure par la parole avant l’heure, sismographie, injections de Cardiazol ou lobotomies, neuroleptiques et antidépresseurs), la différence résidait dans la semi-liberté des « alienés » sous surveillance médicale et leur intégration dans « foyers nourriciers » dans une ville où ils peuvent travailler (cuisine, couture, jardinage, ménage, tricot, employés par des particuliers ou des entreprises locales) pour leur bien et afin de gagner un peu d’autonomie et de socialisation sans faire concurrence aux ouvriers locaux.
L’auteur consacre une partie aux portraits de pensionnaires, retraçant leur parcours et les misères les ayant menés à cet état que l’on appelle folie : Louise, Léontine, Lucette et bien d’autres qui, au fil des années, deviendront lingères, blanchisseuses, ménagères retrouvant une identité sociale effacée durant leur vie asilaire. Elle raconte aussi l’inévitable opposition entre les « civils » et les « malades » jusqu’à l’existence d’un carré réservé au sein du cimetière. Sont détaillées les conditions de vie des patients au sein de leurs familles d’accueil et les problèmes auxquels sont confrontés les psychiatres : comportements sexuels des malades, affaires de suicide, fugues, enlèvements d’enfants.
Enfant du pays, l’auteur raconte, témoignages à l’appui, la vie hors de l’hôpital des personnes atteintes de maladies mentales, fait sortir de l’ombre les souffrants, déstigmatise l’image de ces malades dans l’espace public et interroge notre relation à l’autre qui, finalement, n’est pas si loin de nous : un défi dont l’enjeu reste tout aussi crucial aujourd’hui à l’heure où le milieu psychiatrique connaît une forte crise et sachant qu’un tel mode de soin coûte deux fois et demi moins cher qu’une hospitalisation classique.

Fayard, 2019

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