Les innocents / Michael Crummey

“Un corps doit supporter ce qu’il ne peut éviter.”

Il y a quarante ou cinquante nœuds ; moins de vingt sont régulièrement utilisés. Il n’y en a pas un seul qui ait été inventé à un moment connu, en un lieu connu, par une personne connue. Ils sont tous d’une ancienneté immémoriale.

Si Michael Crummey a choisi cette citation de R. G. Collinson en guise d’épigraphe de son roman, c’est probablement parce qu’aucune description ne siérait davantage à ce que sont Ada et Evered l’un pour l’autre. Un lieu connu d’une ancienneté immémoriale.

Malgré leur très jeune âge, 9 et 11 ans au début de l’œuvre, ces deux enfants, dont le garçon a eu soudainement les cheveux d’un blanc immaculé à la mort de ses parents, survivent seuls dans leur anse au Nord de l’Ile de Terre-Neuve. Territoire isolé, coupé du monde, en proie aux températures et conditions de vie les plus extrêmes, cette anse devient le paradoxal huis-clos dans lequel ils vont tenter de survivre.

L’Anse est un personnage à part entière de ce roman initiatique et le seul repère qu’Ada et Evered aient, le reste n’étant qu’une vague idée qui pourrait aussi bien être une invention chimérique créée de toutes parts par leur défunts parents. Leur existence est rythmée par les saisons, le travail harassant, condition sine qua non de leur survie, et par l’arrivée attendue de l’Espérance, le bateau d’approvisionnement, une fois par an. Cette implacable vie les obligera à explorer des frontières, celles de l’Anse mais aussi les leurs. Les années s’écoulent, aussi impitoyables que les plus naturels et universels des changements. En somme, des multiples (r)évolutions, aussi insignifiantes qu’effrayantes, aussi impétueuses qu’inavouées et aussi incomprises qu’acceptées.

Les innocents est un roman d’apprentissage, un croisement vertigineux entre William Golding et Jean Hegland. Un roman aussi sublime que féroce sur le passage de l’enfance à l’adolescence et ce qu’il en ressort de plus tabou. Le portrait d’une relation entre un frère et une sœur, aussi belle que dérangeante. L’auteur dresse le portrait d’une loyauté à l’apparence inébranlable mais menacée par ce qui fait en réalité leur propre nature. “Un corps doit accepter ce qu’il ne peut éviter.”

Les Presses de la cité, 2021

À retrouver (entre autres) à la Médiathèque d’Acigné.

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