L’auteur flamand Brecht Evens, virtuose de l’illustration en couleurs directes et des perspectives éclatées, salué par la profession et le public pour ses albums « Les Noceurs », « Les Amateurs » et « Panthère » revient en cet automne 2018 avec un livre somptueux, « Les Rigoles ».
Si « Paris est une fête » pour un certain écrivain américain, Brecht Evens choisit, lui, de planter son récit dans le monde de la nuit et des fêtes parisiennes pour nous présenter son ode à la frénésie et aux désenchantements. “Les Rigoles”dépeint l’envers du décor de ce milieu de fêtards à travers les destinées tragiques de trois protagonistes Jona, Victoria et Rodolphe. Ils ne se connaissent pas mais vont se croiser tout au long de cette quête nocturne de la fête pour le meilleur et surtout pour le pire, alternant des moments d’euphorie et de légèreté avec des épisodes de dépression profonde.
Jona passe sa dernière nuit à Paris avant de déménager pour Berlin au petit matin où il compte démarrer une nouvelle vie avec sa compagne. Délaissé par ses ami-e-s qui ont tou-te-s une bonne raison de ne pas passer cette dernière soirée avec lui, Jona part seul boire un dernier verre. Tout ne devait être qu’un soir tranquille mais quand il rencontre une vieille connaissance, ce sont toutes les réminiscences d’un passé de « mauvais garçon » qui ressurgissent et mettent à mal ses propos de mythomane. Et que dire de Victoria qui croit dorénavant contenir en elle toute la joie de vivre et qui ne s’empêche pas de modérer sa consommation d’alcool alors que ses proches s’inquiètent encore de sa fragilité et des épisodes dépressifs qu’elle a traversés dans le passé. Et ils n’ont pas vraiment tord car elle va bel et bien partir en « sucette ». Quant au dernier, Rodolphe, dit le Baron, héros déchu des boîtes de nuit parisiennes, il n’est tout simplement plus qu’un être végétatif jusqu’à ce qu’il absorbe par inadvertance (un vrai bijou d’humour) un « élixir de la fête ».
Album de la maturité, « Les Rigoles » surpassent les précédents albums de Brecht Evens qui, au-delà du dessin magnifique et des constructions graphiques de leurs planches, pouvaient souffrir d’être lisibles qu’à un seul niveau, sans densification ni jeu d’épaisseur, se risquant à ne proposer que des successions de beaux dessins. Or ce récit, construit comme une succession de saynètes, est un vrai puzzle narratif tant le nombre de personnages intervenant de près ou de loin dans les trois destinées (le chauffeur de taxi est un cas à lui tout seul), les lieux fréquentés avec leurs ambiances éblouissantes de couleurs chaudes en double page le plus souvent, et les fragments de conversations avoisinant les situations propres aux trois noctambules, proposent d’autres possibilités de narration. L’auteur précise d’ailleurs, dans une interview à la revue « Les arts dessinés »*, avoir beaucoup travaillé l’écriture des dialogues et avoir porté un soin particulier à la mise en scène. Cet album est aussi très personnel dans la mesure où Brecht Evens l’a réalisé après avoir lui-même traversé des épisodes bipolaire et dépressif assez importants et qu’on retrouve beaucoup de ses troubles anciens dans 2 de ses 3 personnages.
Un magnifique roman graphique haut en couleurs !
* Frédéric Bosser « Brecht Evens : un livre comme une résurrection », Les arts dessinés 05, décembre-février 2018-19
Pour les curieu-ses-x qui souhaiteraient en savoir plus, retrouvez Brecht Evens interviewé par Marie Richeux dans l’émission “Par les temps qui courent” de France Culture du 30 août 2018.
À retrouver (entre autres) à la Bibliothèque des Champs Libres
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