Né d’aucune femme / Franck Bouysse

Né d’aucune femme est un ouvrage absolument formidable, proche de la perfection littéraire. Franck Bouysse remet dès lors un roman choral dont l’humanité écorchée se glisse dans les interstices des bas-fonds les plus cruels.

Le·a lecteur·rice découvre un univers silencieux au coeur d’une nature prolifique et dans une temporalité dissimulée par l’auteur mais qui semble selon toute apparence se dérouler à la fin du XIXème siècle. Ce·tte premier·ère fait l’appréhension d’une fresque de quidams marginalisés parmi lesquels iel fait la rencontre de Rose, gamine bousculée malgré elle dans un gouffre hostile et féroce, à l’acharnement proche de la malédiction. Dans un ultime instinct de survie et par le biais d’une écriture pulsionnelle, elle lègue dans des cahiers son héritage trop longtemps dissimulé, pour raconter l’ineffable, l’abominable. L’histoire est un cri polyphonique, celui du corps bafoué, méprisé, et porte l’aboi des anonymes oublié·e·s, issu·e·s des classes pauvres et paysannes, ces « traînes-misères » que l’on a bâillonné·e·s et déchu·e·s. Ce roman tellurique fait alors le portrait des vulnérables à qui l’auteur restitue la parole, au moyen d’une oralité captivante. La plume, rugueuse, est formidablement maîtrisée et sculptée à l’égard de chaque narrateur·rice favorisant l’éclosion d’un archétype social d’une grande justesse. Au diapason d’une sublime couverture, ce livre sensoriel est un écrin à la fois caustique et délicat qui éprouve le motif de la figure universelle de la mère, assimilée selon toute vraisemblance à la madone, corollaire d’un impératif, celui de perpétuer une lignée familiale à n’importe quel prix, jusqu’à abdiquer sa dernière once de probité. Il se fait également la voix d’une certaine image de la masculinité et vient alors égratigner l’injonction à la virilité au gré d’une prose gracieuse et charnelle. En définitive, ce roman noir et social, construit à l’image d’un conte, est une véritable fracture poétique, intime et bestiale qui célèbre l’écriture comme secours et sauvegarde face aux déflagrations, à travers un magnifique néologisme clamé par Rose, révélant tout le génie et la trempe littéraire de Franck Bouysse. « Écrier » : il s’agirait ainsi de soigner les maux par les mots, un recours indispensable à la langue qui lècherait les plaies. À l’orée d’une douce folie, Franck Bouysse et Rose délivrent un chef-d’oeuvre épidermique, une bombe dans l’histoire de la littérature. Essentiel.

La Manufacture de Livres, 2019

#JDH23

À retrouver (entre autres) à la Bibliothèque des Champs Libres

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Céline B.
Ancienne vacataire à la bibliothèque des Champs Libres et passionnée de lectures, Céline tient un audacieux blog altruiste et littéraire : « Eprise de paroles ».

Cette chronique est parue sur le site Babelio.