Si vous aviez aimé Kobane Calling, voilà le grand retour de Zerocalcare, à ce jour l’auteur de bande dessinée le plus populaire d’Italie. Ao!
Si la renommée de cet auteur romain – de Rebibbia, pour être précis ! – ne vous dit encore rien pour le moment, une petite biographie s’impose (pour les autres, vous pouvez vous rendre directement au prochain paragraphe !). Né en 1983, Michele Rech, aka Zerocalcare est d’abord remarqué dans les milieux alternatifs des fanzines et de la petite édition grâce aux bandes dessinées, aux affiches de concert et aux pochettes de disques qu’il concevait pour des groupes punks. Il s’est ensuite fait connaître auprès du grand public avec les dessins qu’il a publiés sur son blog : www.zerocalcare.it. Depuis, ses bandes dessinées n’ont cessé de connaître un succès grandissant et inédit dans l’histoire de la BD italienne. Kobane Calling a notamment été très salué par la critique et par les lecteurs, au point d’être vendu à plus d’un million d’exemplaires. Zerocalcare publie désormais dans de nombreux magazines, et s’est illustré dernièrement sur Netflix avec sa série animée autobiographique À découper suivant les pointillés, qui fait elle aussi un carton auprès d’une nouvelle communauté de fans, avec une deuxième saison déjà annoncée au printemps 2023… Un succès qui rend parfois Zerocalcare mal à l’aise, cet auteur devenu malgré lui un porte-parole pour toute une génération militante, engagée, ou encore désenchantée. Si bien que dans sa dernière bande dessinée, No Sleep Till Shengal, il évoque lui-même ses doutes et “affres auto-infligées d’occidental moyen”, pour reprendre ses dires …
Mais revenons-en à Shengal : après Kobané (en Syrie), où il est allé en 2014 et où il a pu rencontrer l’armée des femmes et l’ensemble des résistants kurdes en lutte contre Daech, Zerocalcare revient sur le “terrain” à la manière d’un journaliste-reporter en se rendant cette fois en Irak au printemps 2021, pour témoigner de la situation des Ézidis de Shengal (appelée aussi Sinjar, ou encore Shingal). Méconnue par la communauté internationale, la minorité religieuse Ézidie (Yézidie en arabe) a été victime des pires massacres au fil des dernières années, au point de perdre son territoire avant de parvenir à le reconquérir grâce à l’aide du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Dans No Sleep Till Shengal, des passages en noir & blanc interviennent ponctuellement pour illustrer les exactions subies par les Ézidis, tels des électrochocs.
Dans cette enclave qu’est Shengal et dont l’autonomie est sans cesse remise en question, les Ézidis s’efforcent de mettre en œuvre les principes du Confédéralisme démocratique kurde existant au Rojava, à commencer par la libération des femmes, la démocratie directe, la coexistence entre les peuples et l’autodéfense. Pris en étau entre les diplomaties irakienne et turque, qui souhaitent toutes deux la disparition de cette entité, les habitants de Shengal subissent encore des bombardements incessants, notamment par le biais de bandes djihadistes soutenues par le gouvernement turc. Mais la résistance est infinie.

Ce sont donc leurs combats, leurs questionnements et l’actualité de leurs luttes que Zerocalcare met en lumière, soucieux d’accompagner une résistance qui s’efforce de survivre dans l’indifférence assourdissante de l’Occident. On est donc ici livré à un regard militant sur Shengal, dont le but serait de témoigner de la réalité de Shengal pour nous autres occidentaux. Le projet d’écriture de cette bande dessinée, qui part d’une commande provenant de camarades kurdes de Zerocalcare à Rome, est sans arrêt évoqué à travers même les pages de la BD, où l’auteur va jusqu’à faire des adresses au lecteur et à pratiquer l’auto-critique et l’autodérision de manière répétée, à la manière d’un Riad Sattouf ou d’un Guy Delisle : “[…] je suis nul en portraits. Allez-y, dessinez, vous, au lieu de m’emmerder”. No Sleep Till Shengal est donc emprunt de beaucoup d’humour, sur un sujet pourtant bien grave, ce qui vaut bien à l’auteur de ne jamais réussir à dormir jusqu’à Shengal…
Cambourakis, 2023
Traduit de l’italien par Brune Seban-Desideri et Nino S.Dufour
A retrouver (entre autres) à la Bibliothèque des Champs-Manceaux.
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