Radium girls ? Kezaco ? Une BD sur un groupe de rock féminin ?
Détrompez-vous ! Cet album retrace l’histoire, pas très “radieuse” voire même oubliée, de jeunes ouvrières, héroïnes du quotidien dans l’Amérique des années folles, sacrifiées au profit de la firme United States Radium Corporation. Un scandale sanitaire mis au jour par le combat de ces lanceuses d’alerte avant l’heure.
“Lip” (tu lisses le pinceau avec les lèvres). “Dip” (tu prends de la peinture avec le pinceau). “Paint”(tu peins). Trois gestes répétitifs que doivent accomplir celles que l’on surnomme aussi les “Ghost girls”, (parce qu’elles irradient dans l’obscurité, ce qui devient rapidement un jeu), employées pour peindre des cadrans de montre grâce à l’invention d’une peinture fluorescente, mise au point à partir de l’extraction du radium, élément miracle de l’époque.
Dans cette bande dessinée, l’illustratrice Cy (Cyrielle Evrard) rend un hommage fort et bouleversant à ces jeunes ouvrières américaines. Heureuses d’avoir un job en or pour l’époque, insouciantes, croquant la vie à pleines dents, leur descente aux enfers en paraît d’autant plus tragique. Ça commence par la solidarité féminine, l’amitié, les soirées entre filles, pour aboutir à la lente dégradation, la maladie, puis la mort. Victimes d’un empoisonnement au radium, la plupart d’entre elles vont être atteintes de cancers. Certaines seront diagnostiquées syphilitiques et accusées de mauvaises mœurs. Elles devront mener un combat long et obstiné (manque d’argent pour se soigner, aucun avocat ne voulant les défendre) pour faire reconnaître leur maladie professionnelle. Les premières mesures de protection ont été prises quand des hommes ont commencé à faire partie des victimes.
Le parti pris graphique de Cy a été de travailler aux crayons de couleur, en superposant les couches de pigment (jusqu’à 5), dans un camaïeu de violet et de vert “radium” (ça ne s’invente pas !), ce qui lui permet d’obtenir une texture jouant sur la profondeur des couleurs. Elle a ensuite utilisé le numérique pour ajouter un aspect fondu à la couleur, avec lequel elle crée des ambiances qui donnent tout son sens métaphorique et sa dimension émotionnelle à l’histoire. En opposition, les personnages féminins, aux traits anguleux, dont certains m’ont fait penser à certains portraits de Modigliani ou de Picasso, restent blancs. Les emprunts à la ligne claire sont contrebalancés par le côté très expressif, voire figuratif des visages. Cy s’est appuyée sur un énorme travail de documentation (la manière dont les femmes étaient habillées, des publicités de l’époque, le contexte géopolitique, la prohibition…) pour éviter les anachronismes. Malgré la tragédie, la fin du récit n’est pas dénuée d’humour. Elle témoigne d’une grande empathie de l’auteure pour cette bande de filles et de la forte sororité qui les lie.
Cette BD répare un oubli en replaçant ces femmes dans la lumière. Elle rend compte d’une période, l’entre-deux guerre aux Etats-Unis, l’émancipation féminine (les femmes américaines ont obtenu le droit de vote en 1920), mais aussi d’un combat militant et féministe qui a fortement impacté les lois Outre-atlantique et a contribué à faire évoluer les conditions de travail et de sécurité de tous les travailleurs.
Glénat, août 2020
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Je ne connaissais pas du tout ces femmes et j’ai adoré, Cy redonne une voix à ces femmes oubliées de façon joyeuse et triste à la fois, la vie en somme !