Mis à jour le 6 mars 2021
“Fatras d’amas. Pour qui ? Pour quoi ?”
La première fois que j’ai entendu parler de Joseph Ponthus ou plus exactement lu une chronique sur son roman (dans Siné Mensuel), je me suis dit “Tiens ! Encore un hipster en bleu de travail qui se la joue ouvrier.” Et puis ce tintamarre éditorial et médiatique sur l’ouvrier anarchiste et lettré comme si nous tenions un spécimen rare, antithétique m’a rapidement fait tiquer.
Mais voilà Joseph Ponthus n’a jamais fait semblant. Après plusieurs années passées à l’usine, l’homme sait de quoi il retourne quand il évoque la condition ouvrière, les gestes mécaniques et répétitifs, la fatigue physique et psychologique, la folie meurtrière de l’abattage à la chaîne, le doigt coupé que chacun s’affaire à retrouver dans les conglomérats de viande pendant que le blessé tourne de l’œil, l’interminable et quotidienne attente de la pause-déjeuner ou café-clope, la “dimanchite” ou la boule au ventre du dimanche soir, les petits chefs et les collègues tire au flanc qui influent sur la cadence, l’angoisse du non-renouvellement de son contrat. Égoutteur de tofu, trieur de bulots et aiguilleur intérimaire de carcasses, l’auteur reconnaît aussi la solidarité ouvrière, le courage des hommes et des femmes qui ne se plaignent jamais, la satisfaction du travail accompli et l’indécence des petits salaires.
Écrit sans ponctuation, cet ouvrage sincère, subversif et éprouvant, véritable exutoire à la folie et plaidoyer survivaliste pour l’amour des siens, des moments heureux, se lit à la manière d’un long poème rythmé par le tournoiement des pages. J’y ai retrouvé la même radicalité que dans le film de Maud Alpi Gorge Cœur Ventre. Un pamphlet contre la surproduction, l’exploitation, l’aliénation et l’abrutissement par le travail nonsensique qui peut aussi faire relativiser par rapport à sa propre condition.
Aujourd’hui l’écrivain n’est plus mais il ne fait nul doute que son œuvre entrera dans la postérité aux côtés des écrits d’Apollinaire ou de Rimbaud. Michel Cloup Duo & Pascal Bouaziz ont d’ailleurs compris sa portée en la mettant en musique. L’album est empruntable sur le pôle Musiques de la Bibliothèque des Champs Libres.
Le journaliste Sylvain Prudhomme résume parfaitement sa puissance littéraire dans Libération : “Etudiant je voulais consacrer un mémoire à la question de la valeur littéraire. De toutes mes forces, j’entendais nommer ce que j’admirais, comprendre ce qui me rendait certains textes époustouflants, uniques. Je voulais prendre le problème de fond : qu’est-ce qu’un grand texte ? Pourquoi certains livres nous donnent-ils la certitude qu’ils sont essentiels et resteront à jamais ? À quoi leur grandeur tient-elle ? Est-il possible de l’objectiver, d’en énoncer les raisons ?”
À retrouver (entre autres) à la Bibliothèque des Champs Libres.
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