Autour de la traduction : repères et parutions récentes (2)

Comment traduire Amanda Gorman ? La récente polémique à ce sujet montre que la traduction profite de nouveaux éclairages dans les médias. Elle semble également bénéficier d’un regain d’intérêt en tant que sujet d’étude chez les éditeurs, en témoigne la récente collection « Contrebande » chez l’éditeur lillois la Contre Allée, où il est proposé de « faire entendre la parole d’un traducteur ou d’une traductrice, un parcours, une réflexion, le bruit de la traduction. »

Bientôt suivis d’un troisième à l’automne, les deux premiers volumes de cette collection sont disponibles au quatrième étage de la bibliothèque :

« Entre les rives » de Diane Meur

« Traduire ou perdre pied » de Corinna Gepner

Jean-François Billeter est un des plus éminents sinologues francophones. Dans « Quatre essais sur la traduction », il détaille le travail du traducteur de façon analytique et didactique.

C’est absolument passionnant, même pour les lecteurs qui n’y entendent rien au chinois, comme il le précise lui-même : « Ces quatre études offriront aussi aux lecteurs qui ne savent rien du chinois classique ni du chinois tout court l’occasion de découvrir cette langue, ou du moins quelques-unes de ses propriétés » ou « Ces quatre essais s’adressent aux sinologues, mais aussi à quiconque s’intéresse à la pratique de la traduction ».

Pierre Vinclair est une voix qui compte dans la poésie française contemporaine. Initiateur de la revue « Catastrophes », dont le troisième numéro vient de paraître, il est également un sinophile averti ; il a publié en 2019 une traduction du Shijing, un des textes fondamentaux de la poésie chinoise classique.

Exercice périlleux, s’il en est, dont il s’est sorti fort honorablement, les mots de son préfacier Ivan Ruviditch donnent un bel éclairage sur les problématiques à l’œuvre dans le monde parfois fermé de la traduction :

(…) les lectures intuitives des poètes-traducteurs se sont parfois montrées (par endroit seulement, mais c’est un signe) plus exactes que celles des sinologues aguerris. C’est sans doute que les poètes parlent mieux aux poètes. (…) il est vain de croire que la traduction littérale d’un poème chinois, celle qui suivrait fanatiquement le mot à mot, sera plus fidèle et plus conforme à l’original. Car elle restera, foi de sinologue, tout aussi éloignée du vers chinois et de ses résonances que la plus libre et la plus baroque des traductions.

Puisque nous arpentons les territoires de la poésie chinoise, terminons cette promenade totalement subjective par un de nos plus grands écrivains contemporains, prix Nobel de littérature en 2008 : JMG Le Clézio. En collaboration avec Dong Qiang, il a signé l’année dernière un magnifique ouvrage sur la poésie des Tang, et en particulier le poète Li Bai. En toute humilité, il nous dévoile son amour de la poésie chinoise, dans un mouvement très didactique, loin des convenances universitaires. Ça se lit presque comme un livre d’aventure, tellement il rend vivante cette poésie hors du temps, en détaillant les conditions sociales et les bouleversements de ces époques troublées.

Ces quelques phrases achèveront, n’en doutons pas, de vous convaincre d’emprunter cet ouvrage à la bibliothèque :

« Nous nous sommes, en notre siècle d’uniformité culturelle, accoutumés hélas à l’affreuse notion hollywoodienne du plot – l’intrigue. Nous attendons de l’art non qu’il nous enseigne à être meilleurs, ni qu’il nous interroge, mais qu’il nous tienne en haleine à la manière d’un « polar ». Nous espérons en réalité qu’il nous divertisse, qu’il nous fasse passer un bon moment. La poésie Tang recèle elle aussi une intrigue, mais ce n’est pas celle du sens. C’est la manière avec laquelle le poète, par les mots, par les sons, par les images, construit un mystère et nous invite à le résoudre. C’est certainement une des raisons pour lesquelles la compréhension de la poésie a été, sous la dynastie Tang, un des moyens de sélectionner les meilleurs administrateurs. (…) »