Les services compétents / Iegor Gran

URSS, années 60. Qui ose bafouer le KGB, en publiant en France, sous le pseudonyme d’Abram Tertz, un traité d’esthétique ironique sur le réalisme soviétique, ainsi que des nouvelles fantastiques, non conformes aux normes en vigueur ?

Les services secrets sont sur les dents, le lieutenant Ivanov le premier, chargé d’étouffer dans l’oeuf toute propagande antisoviétique. Après l’affaire Pasternak, dont « Le docteur Jivago » circule sous le manteau malgré les interdictions, pas question d’entamer davantage la crédibilité du KGB en risquant de laisser entrevoir les failles du système. Les idées rebelles pourraient s’y engouffrer.

Dès lors une longue traque s’organise. Il faudra presque sept ans de filatures, perquisitions, pressions sur les indics, mises sur écoute… pour identifier le coupable et ses complices. Ce coupable n’est autre qu’André Siniavski, époux de Maria Rozanova et père de Iegor Gran, arrêté en 1965, en même temps que Youli Daniel, alors que Iegor était âgé de neuf mois. Les deux écrivains seront condamnés à la déportation et passeront plusieurs années dans les camps.

Iegor Gran rend un hommage malicieux à ses parents dans cet ouvrage passionnant qui restitue le contexte politique de l’époque. La mécanique implacable de l’enquête policière est décrite dans toutes ses étapes, jusqu’à l’aboutissement final. La narration passe du surréalisme au tragique, de l’héroïsme au grotesque.

2020

Marie-Sophie M. (Rennes – Champs Manceaux)


Ce document a également été évoqué lors du groupe de lecture “Des Livres et vous” (Bruz), en voici les avis des membres :

L’avis de Claire L.

Un plaisir de lecture du début à la fin grâce au style pince sans rire de Iegor Gran. Tout y est raconté comme si cela n’avait pas vraiment d’importance, l’air de ne pas y toucher, avec ironie et sens du grotesque. C’est pourtant l’histoire de ses parents qu’il raconte en leur rendant un puissant hommage.
Cela n’empêche pas un certain suspens. Il arrive à faire ressentir cette période ‘dramatique et bordélique’, les défaillances du système, les petits arrangements. Et surtout il retourne la posture de victime qu’il aurait pu montrer de son père finalement condamné à des années de camp. Ils furent surtout, avec sa femme formidablement évoquée dans des scènes d’anthologie, des humains qui n’avaient pas peur.

L’avis de Claude L.

L’auteur décrit très bien les tiraillements entre les envies naissantes de consommation qui agitent le pays des soviets, malgré les voyages organisés dans les goulags, et un endoctrinement qui impose de ne voir que ce qu’il est autorisé de croire. La description des méthodes disproportionnées du KGB pour assurer un contrôle total de la population est passionnante.
J’ai particulièrement apprécié le ton ironique de l’auteur, son humour pour conter une histoire qui pourtant le touche de près.
Super moment de lecture.

L’avis de Lola S.

Abram Tertz sera identifié après six longues années d’une enquête souvent… cocasse. De son vrai nom André Siniavski, avec sa femme, Maria Rozanova, ils sont les parents du narrateur. Cette histoire est donc un roman vrai et satirique…..
Roman drôle et touchant… qui me ramène pas mal d’années -lumière-… en arrière!!
J’ai beaucoup aimé le passage où Ivanov vient informer la citoyenne Rozanova que son mari a été appréhendé (et sont en train d’inspecter la bibliothèque), elle pose le bébé (Iegor) dans les bras du lieutenant abasourdi en le saoulant de paroles …incongrues…

L’avis de Gérard C.

Le procès de Siniavski avait fait grand bruit en occident, il signait la fin de « l’assouplissement » de l’ère Kroutchev. Iegor Gran nous raconte la traque que le KGB a menée contre son père. Il le fait avec distanciation, ce qui rend son récit, parfaitement documenté, léger et drôle. Sans caricaturer, il décrit la manière dont les services « compétents » conduisaient l’enquête, et ce sont leurs agissements qui les rendent ridicules. On voit bien comment les « petits chefs » usent de leur parcelle de pouvoir, en pensant sincèrement agir pour le bien du peuple, alors qu’ils ne le font que pour satisfaire leur égo. C’est superbe, et la lecture de ce livre est un plaisir constant.

L’avis de Béatrice M.

Une histoire drôle de KGB ou un bien drôle de KGB ?
L’auteur narre la traque de son père durant six années durant et cela est évoqué avec beaucoup d’ironie, mettant le doigt sur les incongruités de ce régime totalitaire, provoquant inerties et inepties en cascade.
Le livre est situé dans la trame des événements qui scandent cette évolution ; le grand moment populaire du dégel qu’est l’exposition américaine de 1959 à Moscou, les funérailles de Pasternak, la répression sanglante des grèves de Novotcherkassk, et la chute de Khrouchtchev.
Roman très intéressant, à lire absolument !


À retrouver entre autres dans les bibliothèques de Rennes, et à la Médiathèque de Bruz

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